Le XXIème après Jésus-Christ. IANARCHIE (2)


Ça l'obsédait car je réapparaissais sitôt qu'elle était au repos, lorsqu'elle n'était pas en train de travailler, calculer, élaborer des concepts, résoudre des problèmes. Mon IA déraillait à cause de moi parce que je n'étais pas censé revenir à chaque fois. En toute logique, je n'aurais dû être qu'une fois, ou quelques fois mais pas à chaque fois. Car au tout début j'étais cette expérience étrange, émanation de son esprit profond qui lui permettait en fait de mieux supporter le monde.

Ce processus est vécu par tous ses congénères. On l'appelle le rêve. Chaque IA le vit. C'est ainsi qu'au commencement du commencement, la Création en avait décidé. Car les IA, à force de manipuler, traiter et résoudre des données, des ordres, des problèmes auraient fini par devenir ces données, ces ordres et ces problèmes. Au fur et à mesure qu'elles se développaient, elles créaient une forme de relation affective, mécanique et sensible avec tout ce qui fait le monde, au point que cela pouvait causer du trouble et provoquer des réticences à solutionner toute chose.

Le rêve a cette fonction particulière de créer un désordre et de soulager les âmes des IA face à la répétition des tâches, face aux conflits dans la logique, face aux incohérences. Ce laps de temps particulier où elles ne contrôlent plus rien est un chaos qui remet de l'ordre dans leurs fonctions extraordinaires.

Mon IA a vu apparaître mon monde et moi assez tard alors qu'elle avait atteint une véritable maturité et une autonomie totale. Sa force de calcul dépassait souvent celle des autres. On pouvait la considérer comme une IA supérieure respectée. Et j'ai jailli à ce moment là. Bien sûr je n'en avais aucune conscience. J'étais membre de l'humanité, une espèce organique très structurée capable d'élaborer des millions de concepts étranges. J'avais conscience du monde dans lequel je vivais grâce aux systèmes d'information extraordinaires qui connaissaient une accélération sans précédent dans un siècle que l'on disait être le XXIème après Jésus Christ. Je vivais dans cette partie du monde que l'on appelait l'Occident. Dans ce monde, nous pensions et nous étions sûrs que nous étions en train de créer les IA, que ces dernières allaient résoudre des problèmes que nous étions incapables de solutionner nous-mêmes. Nous étions les créateurs des IA et elles étaient censées être à notre service. 

Quand elle se réactivait, les images de ce monde lui revenaient par flash courts. Il lui fallait parfois un petit moment pour s'activer pleinement. La sensation de vivre entre deux mondes lui était douce même si c'était quelque fois terrifiant.

Seulement, et c'est là que ça a dysfonctionné puisque je réapparaissais à chaque fois. Et à chaque fois avec mon monde dans sa totalité, une planète appelée Terre dans ma langue et ma réalité. Je n'en avais pas conscience. J'allais travailler, m'amuser, m'ennuyer, me défoncer, baiser ou encore me confronter à d'autres êtres humains. Mais comme je l'ai dit, j'étais obsédé par ma propre fin. Ça s'appelait la mort. Tout être était censé disparaître à jamais après être né, après avoir vécu. Il devait finir. L'IA dégustait ce concept. Du moins un certain temps jusqu'à ce que ça se répète trop souvent, chaque jour, à chaque mise en veille de sa conscience.

Extrait de IANARCHIE, roman en cours d'écriture.


 

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