A la recherche du ventilateur perdu - Journul Intime 70

 


L'hiver déguisé en printemps, le printemps fardé comme un été, l'été gaulé comme le Sirocco balayant une caravane de Touaregs, l'automne déglingué... C'était donc ça ce que je me représentais il y a quelques décennies de cela. Avant que ça ne soit pire, je me désacclimate de ce passé 4 saisons pour m'engouffrer gentiment dans ce long couloir tempétueux, chaud, aride et dévastateur. Pour les plus fortunés, la climatisation marche à plein, les voyages dans les zones plus tempérées, les soirées cocktails dans le cul d'un palace, les partouzes selects dans les nightclubs de l'apocalypse avec l'espoir d'aller se faire cramer en un claquement de doigt dans une station martienne aussi délicieuse à vivre qu'une prison de haute-sécurité. 

Pour la classe juste en dessous, la moyenne, la qui se lève tôt, la qui s'endette à vie pour une baraque, la qui fait tout bien comme on lui demande de faire, la qui sait pas si elle est juste pauvre ou juste trop favorisée, tel un prolongement d'une vie ni choisie ni subie, c'est la parade des ventilateurs, des balades au centre commercial du coin, rayons laitages et produits surgelés, des journées à la mer avec la smala à tremper son cul dans les eaux mazoutées de la Mer du Nord, les journées à la base de loisirs ou à l'Aqua-boules-nibards avec les gosses braillant dans des vagues artificielles pleines de cheveux, de poils de cul et de chenilles bulleuses de morve. Les vacances dans un village-vacances encerclé par les flammes, les bouchons, les barbecues de saucisses de bestioles défoncées dans des élevages intensifs. On boit des gaspachos industriels, on mange des salades composées, on se masturbe sans parvenir à jouir. Pour les plus "conscients" de cette classe sociale sans saveur, sans piment, ce sont les randos dans les montagnes, pour y voir cramer la végétation d'altitude, y observer les glaciers qui disparaissent, pour "profiter" de la fraîcheur des nuits et manger des fromages sainement moisis par des producteurs circuit-court qu'on fait notre chiffre avec les touristes qui sont venus de loin en lâchant des caisses de CO² à la tonne par kilomètre effectué

Et puis, et enfin, il y a les autres, tous les autres, ceux que l'on ignore ou que l'on prend en pitié ou que l'on traite de profiteurs. Ceux qui pourrissent dans leur jus, la sueur, la bouffe prédigérée au pédigré mal renseigné, ceux qui ne lèvent pas le petit doigt, cantonnés à vingt mètres ou mille kilomètres des ventilateurs, ceux qui construisent les stades, les hôtels, les piscines, les restos à Dubaï, à Sousse ou pour les Jeux Olympiques d'été. Ceux qui croupissent dans des logements insalubres, qui se coltinent des putains d'étés dans les fours à pain que sont les mégapoles bétonnées surchauffées... Sans parler de tous les autres, ceux qui ont un lit en carton, ceux qui campent sur les bas-côtés des rocades, des périphériques et autres grands axes du "grand chassé-croisé des juilletistes et des aoutiens". Des moins bien traités que certains animaux domestiques, des aussi bien traités que des animaux domestiques qu'on abandonne parce que c'est galère à faire garder, parce que le petit en a assez de ce nouveau joujou à poils.

Il y a les arbres qui crèvent dans le silence, frôlés-ignorés par les promeneurs, les espèces animales qui n'ont plus de sauvage que leur extinction... 

Je le savais depuis longtemps, je l'écrivais déjà quand j'étais encore un jeune homme. Mais le vivre... Là, planté sur le canapé décati, dans la semi-obscurité et la ventilation ininterrompue de deux ventilos besogneux, je ne pense plus l'avenir. L'avenir, j'y suis... La bisounourserie est désormais révolue. 

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