J'ai raté ma carrière d'écrivain - Journul Intime 104

 

Léonel Houssam


J'ai raté ma carrière d'écrivain pour la simple et bonne raison qu'on ne peut pas survivre à la compromission. Car il s'agit toujours de ça. Et c'est en avril 2016 que je l'ai compris. Avant cela, j'avais en tête Calaferte, Genet, Céline. Ma naïveté égalait ma confiance en l'édition française de premier plan. Ce mois-là, ma femme et moi avons passé une soirée mémorable, extraordinaire, complètement hors norme avec beaucoup d'échanges et énormément d'alcool... Pourtant j'ai su en échangeant plusieurs heures avec cet éditeur de premier plan que je ne pourrais jamais être, moi-même, un écrivain de premier plan... Lui était un homme indépendant d'esprit, du moins lors de cette soirée, mais il était aussi un directeur de collection totalement tributaire des dividendes que les actionnaires pouvaient générer pour cette maison d'édition : Gallimard pour ne pas la nommer (comme on dit).
Or j'étais sûr, dès le départ, d'être un nouveau cheval pur sang de leur écurie. J'avais vécu la même chose quelques années plus tôt avec l'éditeur alors à ses premiers balbutiements qu'était Ring. Les deux étaient totalement opposés mais étonnamment, dans la sulfure du tuyaux tordu qu'était la discussion privée avant projet, les deux parlaient la même langue. Ils focalisaient sur le "scénario" et chiaient sur le style, tout ça avec les contours de leurs lignes idéologiques contraires.
Je l'avoue : je me suis senti flatté de ces propositions. Et encore aujourd'hui, je considère ça comme un titre, une petite victoire. Et plus encore parce que j'ai refusé.
Qu'on soit clair, je n'ai jamais aimé mes écrits et ça n'arrivera jamais. C'est un fait j'écris des livres lentement parce que je me sens totalement écœuré par mon écriture qui est techniquement mauvaise et qui ne donne pas le moindre plus aux millions de titres qui paraissent sans cesse.
Avec cet éditeur de premier plan, d'aucuns diront que j'ai tué toutes mes chances de réussir une grande carrière d'écrivain. Et je pense le contraire. Je me suis sauvé la vie. Car écrire n'est pas un jeu de dupe. Écrire n'est pas un choix pour moi. C'est une bombe qui menace d'exploser dans mon bide depuis l'âge de 13 ans... Alors comprenez bien que je ne cherche surtout pas le succès, la gloire et la grosse gaule de mon ego en trimant des heures depuis 37 ans sur du papier ou des écrans. En aucun cas je n'ai voulu ça.
Quoiqu'il en soit, il m'a fallu choisir. Mais il y a un choix que j'ai fait très tôt, c'est de ne surtout pas vivre de mon écriture. Au contraire. Selon moi la qualité littéraire n'est jamais liée au nombre d'exemplaires que l'on vend ou encore des passages médiatiques ou de la gloire que l'on tire des soirées mondaines ou immondaines offertes par le gratin vieille soupe et auto-complaisante de la production livresque.
J'ai donc niqué ma carrière d'écrivain. Je n'ai pas flingué ma capacité à écrire. Aucun doute là-dessus. Ma vie est loin de celle des universitaires ou bankables de la littérature. Je ne les envie pas et je leur souhaite tout le succès qu'ils veulent mais par pitié ne me demandez jamais de les considérer comme des personnes ou malhonnêtes ou honnêtes.
Mon monde n'est pas fait d'eux et leurs livres m'emmerdent autant qu'ils ignorent les miens.
Voilà. J'ai fini ce texte.

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