L'extinction qui vient. Chroniques des Parallèles 3

Chroniques des Parallèles

Il y a une chance sur des milliards pour qu'une centenaire enfante. Une progéniture gonflant sa matrice épuisée, les entrailles éparpillées…Son visage tordu de douleur. Et pourtant, c'est ce que j'ai vu après avoir passé la porte n°3. Ma chasuble bleue était tachée de gouttelettes de sang. Tout le monde paniquait, les machines s'affolaient avant de revenir à la normale. 


Le visage de l'infirmière semblait apaisé mais encore marqué par ces instants de tension où le cœur de la maman s'était arrêté. Le bloc et sa fraîcheur. La luminosité clinique et le bruit des instruments de chirurgie que l'on manipule. 


Impossible de reprendre la porte fermement scellée. On se reproche si souvent de faire les mauvais choix. Ces derniers sont si souvent involontaires, quasiment inconscients. “Si j'avais éteint le feu plutôt que de me branler sur des shemales géantes encastrées, je n'aurais pas foutu le feu à la cuisine.” “Si je l'avais rappelée au lieu de me défoncer avec de funestes inconnus au Troudeballe Bar, elle n'aurait sans doute pas mis fin à ses jours.”


À l'extérieur de l'hôpital, je comprends que quelque chose cloche. Je suis tout de même gelé malgré trois couches de pulls et un manteau. Mais les passants me regardent d'un air... Les petits couteaux aiguisés dans le canigou de leurs pupilles. De toute évidence, ils ont tous chauds. En short, en tee-shirt, en tongs, les visages ruisselant et les fringues imbibées de transpiration. Des flèches de jugement m'atteignent en plein cœur. C'est gênant et agréable à la fois. J'ai déjà ressenti ça. Quand je bossais et que j'étais rebelle. Je m'attelais à la tâche tout en pensant que j'étais mon propre traître. Le soir avec les amis-Révolution, je taillais ce monde en pièces, je disais des salariés qu'ils n'étaient que de grotesques esclaves volontaires… Et le jour, comme enfariné par une puissance occulte logée en moi, je réalisais consciencieusement les tâches qu'il m'était ordonné de réaliser. C'était d'un inconfort terrifiant… c'était une guerre intérieure permanente entre l'esclave-né et le bousin adulte qui se targuait de s'être “fait tout seul”. 


Je grelotte. La vieille dame du bloc est là, en chemise de nuit arrachée au niveau du ventre, césarienne grande ouverture déversant ses viscères par-dessus ses cuisses : “Mon petit, tu vas prendre froid si tu restes comme ça.” D'un geste tremblant, elle enroule une écharpe verte autour de mon cou… 


Tout autour, les gens sont broyés par une canicule létale que je ne ressens pas… Les larmes qui s'écoulent sur mes joues givrent instantanément. Mes doigts figent sous l'attaque des engelures… Je ne veux pas vivre ici. Le monstre quantique m'a une fois de plus éjecté dans la mauvaise direction.


Chroniques Parallèles 3.

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