Jouir sans cesse, prendre leur pied - Chroniques des Parallèles 10

 

Chroniques des Parallèles


J'ai goulument avalé mon assiette avant d'aller me vautrer sur le canapé après cette longue journée passée au ministère... Ils dansaient tellement, ils dansaient trop, ils paumaient leurs âmes dans leurs discours affriolants, langoureux avec eux-mêmes, des mains aux longs doigts de leurs spectres égotiques glissant sur leurs visages criards.

Ce morceau de pizza ne passe pas. Le pouce gras sautille sur les touches de la télécommande. Je suis en quête de déconnexion, ce que la télé poubelle ne permet jamais.

La secrétaire d'état est venue me saluer. J'ai bien senti qu'elle en pinçait pour ma belle gueule et mon air nonchalant. Mes Richelieux fermement plantées dans la pelouse impeccable du jardin de l'hôtel particulier. Je jouais mon rôle avec cette assurance de façade que je maîtrise parfaitement. Sa voix était claire et assurée avec cette pointe d'autorité consubstantielle aux gens de pouvoir... mais avec, en la circonstance, une touche de laisser-aller. Malgré la foule des lèches-culs qui blablataient et qui machouillaient précieusement les petits fours,  personne ne pouvait vraiment entendre ce que nous nous disions. Heureusement...

Je bloque sur un canal 200 et quelques où des courts métrages expérimentaux déploient leur atmosphère glauque à souhait.

Sans que je m'y attende, elle m'a affirmé que j'allais "faire de grandes choses pour la France" avant de me demander : "Vous êtes d'accord avec ça."

Avais-je le choix ? Le champagne était bon. Je m'étais arrangé pour en boire bien plus que chacun en me ravitaillant discrètement sur les trois stands du banquet. "Je pense que je peux aider notre pays et offrir tout le plaisir à ceux qui le désirent." Ma réponse l'a un peu ébranlée. Je n'étais pas dupe. Les femmes comme les hommes de pouvoir n'aiment qu'une seule chose : jouir sans cesse, prendre leur pied et renforcer leur pathétique soif d'estime...

"Ah oui ?

- Et bien oui...

- C'est étonnant.

- Je ne pense pas Madame. Je pense que je peux être mis à l'épreuve pour le prouver...

- Oh... Et quand ça ?

- Maintenant ?

- Où ça ?

- Vous avez les clefs de toutes les pièces de cet endroit. À vous d'en décider. "

Impossible de terminer la pizza. Je n'aime pas manger les trottoirs. Un bon joint fera l'affaire pour oublier son corps dégoûtant, son parfum vomitif, ses nibards flétris sans charisme, son bide labouré par les grossesses et l'abus de positions assises, ses lèvres asséchées par les discours démagogiques... Mais demain, il faudra bien y retourner pour choper le graal : la position sociale qui m'extirpera de cette France d'en bas...


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