L'intrication merdique de l'existence - Chroniques des Parallèles 9

 

Avant extinction

De la chaleur oblique, il ne reste que le sentiment de sueur. Du son grave du vent des horizons, il parvient les sentiments médiocres d'un passé qui n'a jamais existé, un passé qui a fait le tapin pour choper les subsides nécessaires à une vie chronométrée, fixée sur les rails... Une vie qui n'a jamais existée sauf peut-être dans ce que nous nommons la mémoire.


L'intrication merdique de l'existence scindée en deux, trois, en infinies variantes.


Les orteils ensanglantés et terreux peinent à appuyer sur l'accélérateur. Cette poubelle se traîne sur la route chaotique et droite qui repousse sans cesse l'horizon. Cleb's aboie, a soif, a faim, me râpe la joue avec sa langue sèche. J'aimerais le contenter, le combler d'une bonne bouillie de boyaux de n'importe quelle bête. Poulet, vache, chacal, rat, humain. Tout ce que nous croiserons de vivant finira dans son estomac et dans le mien. Jamais je ne ferai de mal à cette bête malgré la famine. La soif. Et pourtant je pense à enfoncer ma lame dans sa cuisse pour m'abreuver de son sang. Ça m'obsède. J'en suis là. Si loin que la seule pensée de l'essence dans le réservoir me donne envie d'en avaler une grosse lampée.


Il n'y a plus de cagnard. Il n'y a qu'un marteau de chaleur et de rayons obscènes qui claque la peau du visage jusqu'à la fin du crépuscule...


La route n'en finit pas. Apparaît au loin une forme sombre dans le bain de lumière orange. Une forme qui devient une silhouette de bagnole sur le bas-côté contre laquelle un délicieux type sale et tordu est adossé. Je vois son fusil en bandoulière. Sûr qu'il n'est pas chargé. Sûr qu'il n'a plus un muscle assez valide pour me mettre un coup de crosse. Sûr que Cleb's sera aux aguets tant que je lui demanderai...


En m'arrêtant, j'éteins la radio. "Vous avez besoin d'aide ?"


Aucune réponse. Et pour cause, ce type rachidique est mort debout, campé sur ses maigres gambettes jaillissant d'un mini-short jaune fluo dégueulasse... Il bande. Fort. Il a une corde fermement nouée autour de son cou veineux. C'est elle qui le maintient debout. Mort d'apparence survivant. Le soleil brutal s'adoucit sur l'horizon. J'éteins le moteur et prends le couteau.


"Cul-terreux touillé par l'agonie."


Ses traits tirés. Son presque sourire. Il est fraîchement défunt et tout près, il sent un peu la transpiration, la pisse mais aussi la vanille et le mimosa... Ça suffira. Je coupe la corde. Son corps s'effondre tout droit. Sa bagnole a été vidée de tous ses effets personnels. Ses yeux sont ouverts, noirs et opaques.


Je dis "assis" à Cleb's. Je dis "Tu attends ton tour" à Cleb's... Je repère ses poignées d'amour encore visibles. Charnues. Gourmandes. Évidentes... Ce n'est pas que j'ai perdu la raison, c'est juste que j'assouvis ce que mon corps, mon hôte, réclame. Survivre et prier pour mes péchés. Mais survivre avant tout et reprendre la route...


Le feu répand sa chaleur contre mon corps repus. Cleb's se repaît, la gueule entière enfoncée sous la cage thoracique. Le sang sur son pelage noir lui donne un air de loup féroce. Le sang séché sur mes mains et sur le pourtour de mes lèvres me donne sans doute l'air d'un zombie apaisé...


Demain matin, je reprendrai la route. Finalement le fusil était chargé. Il sera mon compagnon blotti contre moi pour cette nuit.


Extrait de ma tétralogie "Avant extinction" (éternellement en cours d'écriture)

Commentaires

Articles les plus consultés