Un toxique, un zombie
Le médecin m'a dit "trois jours avant que les effets secondaires s'estompent". Ce médoc est miraculeux à condition que tu passes les trois pires jours de ta vie qui suivent ta première prise. Parce que c'est costaud, c'est vertigineux, c'est démentiel. Les images deviennent des sons et les sons deviennent des lumières. Tes mains, tes pieds, ta bite, tes seins, tout se transforme en un sirop visqueux qui tourbillonne autour de toi, le tout secoué par des vagues d'effroi d'origine inconnue, quelque chose qui te bouleverse à l'infini, une frousse gigantesque que tu as sans doute vécue au moment de ta naissance, propulsé dans une panique originelle qui te condamne à l'asphyxie. Le tout, prostré sans bouffer, à te sucer le sang pour te nourrir. Un toxique, un zombie. Tu as beau hurler, les infirmiers n'entrouvriront même pas la porte. Hors de question... Tu as pris tes gélules, tu dois vivre en enfer pendant trois jours et trois nuits. Oh, la nuit, on s'en doute, c'est pire encore. Mais pas tant que ça : tu te sens plus mastoc, rechargé à bloc, à fondre à vue d'œil dans les odeurs de toutes les déjections que le corps peut produire.
Et puis, ça s'arrête. Douche, examens médicaux, mise à jour de la puce dorsale, et retour dans la vie. Voyons, on ne devient pas plus con. Je dirais même que l'on garde une trace fossile de ses convictions, au centre de tout, comme un souvenir rassurant, comme un doudou. Ça s'arrête là. Des couleurs passées qu'on repeint à neuf grâce à l'usage augmenté du cerveau.
Des gars jouent aux cartes au fond du bar, sous la petite fenêtre qui donne sur le pré des vaches. Tu visualises tout de suite. Ça et la cheminée allumée qui donne un côté cosy au chill-out club. Connerie. J'aurais dû me laisser aller. Seulement, ça se voyait de plus en plus chaque jour que la machine s'emballait. Les failles profondes dans la réalité ont avalé tous les individus. Psychologiquement, nous étions des personnages de plus en plus malades, déprimés, nuisant à la productivité d'on ne sait quoi. Il y avait une atmosphère de fin de tout...
Les seuls qui tentaient encore d'échapper à l'aspirateur planétaire étaient les avinés, les junkies, les tapés du ciboulot et sans doute quelques moines et nonnes à travers le monde... Le saloon, le bar, le rade, c'était le dernier endroit où on se sentait vivant chez les humains... En dehors de ça, c'était la solitude, l'ennui compensé à coups de sucre, de salle de sport, de scroll et d'activités diverses. Le traitement ne donne pas l'air d'être bourré. Tu es bien là, et pas vraiment là.
Une guerre diffusée à la télé est devenue un signe d'espoir... Ça te rend plus productif parce que tu es plus conquérant et impliqué. Que peux-tu désirer de mieux ? Tu ne te poses plus de questions. Les œufs au plat ont meilleur goût et les chansons sont plus mélodieuses. Tu prends ce que la vie te donne. Dans le bar, l'ambiance est plus joviale. Ça crie moins, ça se tape plus sur les épaules. Ceux qui ne suivent pas cette voie, il paraît qu'ils sont en cure de sommeil durant deux semaines pour les aider à réviser leur choix. On parle d'un taux de transformation de 80%.1 sur 5 seulement est condamné à souffrir dans une solitude lourde et effrayante.
Je dois vous laisser là. On ne m'autorise pas beaucoup l'usage de ces réseaux pour communiquer avec votre monde. Je veux juste que vous sachiez que nous sommes là, bien là, et que très bientôt, nous viendrons vous sauver.











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