Un loubard un peu roublard

 

Leonel Houssam

Ce matin, je suis un peu plus mal luné que les autres jours. Alors quand j'ai ouvert ma boîte mail et que j'ai lu « Ramon », ça m'a un peu mis en colère. C'est toujours comme ça quand Richard rentre de congés. On se débrouille super bien sans lui quand il part en vacances. Les choses roulent, les publications s'enchaînent et la fréquentation est en hausse. Seulement, c'est le cofondateur. Richard a été l'inventeur et Michel a toujours été le financier doublé d'un beau communicant à la mode roublard... Roublard. Je garde ça.

Donc Richard impose les prénoms. Généralement des prénoms nuls ou à côté de la plaque par rapport au rôle.

Je pars sur Ramon, un loubard un peu roublard, un genre de blouson noir perdu dans les années 2020. Il a une coiffure de rocker géante sur la tête. Un truc aussi gros qu'une pastèque. Ses yeux sont plissés, noirs, mystérieux. Il a un visage démesurément long, ridé, et le poil de barbe dru. Sa peau burinée est hyper sèche. Ses lèvres sont pincées, si fines qu'on les voit à peine. Je pense que là, je touche une cible assez restreinte : des gays ou des cougardes assez fortunés, attirés par l'étrange, la nouveauté, la lie de la société.

Ramon est introverti, mystérieux, savoureux comme une figue de Barbarie. Il t'en reste plein les doigts pendant des heures si tu la prends à pleine main. Ramon, c'est un peu ça. Là, je suis sur le gros plan. On n'a pas envie de l'embrasser sans son consentement. Ça le rend plus intriguant, plus attirant. Ça sent le volcan d'épices qui roupille encore. Le foyer, les braises chaudes. Il porte forcément un blouson en cuir noir. Un truc hyper ample, trop grand, trop large : on ne lui voit que les doigts. Tiens, je le pense parfait avec des ongles manucurés en noir. Il porte une chaîne en or. C'est le genre de cliché qui agace et qui aimante. Son jean est élimé mais près du corps. Je ne sais pas. Je crois que ça marche. Surtout qu'il porte des bottes de soldat. Noires. Cirées. C'est le genre à ne pas porter de slip là-dessous.

Il mange un gros bol de chili con carne assis à son vieux bureau bordélique au milieu de sa quincaillerie tout aussi bordélique. C'est mal éclairé. On voit la rue chaotique et poussiéreuse à travers une porte. C'est une sorte de bidonville où Marcella s'est paumée. Enfin, pas vraiment, c'est Vincenzo, son chauffeur, qui s'est paumé. C'est le GPS qui a merdé. Sa grosse berline noire traverse ma ville préférée, ce bidonville fait de maisons en tôle et de mobil-homes crasseux. Ramon fume sa clope sur le pas de la porte de sa quincaillerie. C'est là que le chauffeur s'arrête pour lui demander son chemin...

L'échange est bref et le chauffeur ne voit pas venir le coup de gourdin. Marcella est maintenant à la merci de Ramon.

J'ai besoin d'une pause. C'est terrible de s'appeler Ramon. Qu'est-ce que tu veux faire avec ça ? Automatiquement, tu as tous les clichés qui te viennent.

Je vais m'envoyer un verre de whisky. Je le mérite. Je n'en peux plus de ce boulot. Enfin, ça dépend des jours.

Chronique humaine 2

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