Pour lapider un traître





Nous n'accueillons pas tout le monde. Nous choisissons. Ceux qui nous semblent bienveillants sont privilégiés. Nous sommes malveillants avec les malveillants. Nous assurons des tours de garde au checkpoint, nous tirons une balle à tous ceux qui forcent l'entrée. Nous leur offrons malgré tout une belle sépulture dans le cimetière des crevards des villes qui n'ont rien fait pour stopper la catastrophe. Je pense ça, je vois ça. Je sais que je n'en ai pas pour longtemps. J'aurais dû agir avant mais comme tous les fumiers urbains, j'ai attendu.

Il fallait bien se taire à l'époque. La foi était un péché absolu pour ceux qui ne croyaient pas. Il fallait se taire et laisser faire l'orgie. Tolérer. Supporter. S'extraire. Se recroqueviller dans une bulle d'air errant dans un océan sans surface. Finir seul parmi les hommes, enchaînés à leurs haines, leurs bords, leurs doctrines. Je n'en avais pas de doctrine. La grâce m'était tombée dessus sans que je demande quoique ce soit. La cime de mon regard traversait la masse d'eau et l'emportait dans la lumière de celui dont il ne fallait jamais prononcer le nom à haute voix sauf pour s'en moquer, en rire, s'en servir pour discréditer ceux qui l'avaient dans le cœur et dans l'esprit. La Saint-Barthélemy n'avait jamais pris fin.

Je donne des miettes aux pigeons sur le balcon. Les seigneurs se massent sur les ruines plus bas pour lapider un traître. Il aurait volé du sucre dans une planque. Je leur ai demandé de ne pas faire ça, mais leur cœur est à la vengeance.

Les pauvres n'ont pas de voiture, pas de sécurité sociale, pas de mutuelle, pas de crédits. Les pauvres n'ont pas plusieurs repas par jour, n'ont pas de chauffage, les pauvres n'ont pas de vêtements sans trous, sans taches, les pauvres n'ont pas de bonnets rouges ou de gilets jaunes sauf peut-être ceux qu'ils trouvent dans des poubelles, ou dans une distribution de vêtements. Les pauvres n'ont pas la force, n'ont pas les nerfs, n'ont pas assez de colère pour se battre avec des rangées de flics. Les pauvres ne lèvent pas des drapeaux tricolores, les pauvres ne sont pas patriotes, ils sont usés, ils sont gelés en hiver et assoiffés en été, les pauvres n'ont pas de canapé pour regarder la télé, les pauvres sont dans les rues, les pauvres mendient, les pauvres sont des esclaves qui triment dans des usines à l'autre bout du monde, les pauvres ne sont pas arrogants, les pauvres ne se retrouvent pas sur les réseaux sociaux pour organiser des mouvements de contestation, les pauvres crèvent, les pauvres sont invisibles, les pauvres ne parlent dans aucun micro... Mais les pauvres sont aussi un mot que des gens pas vraiment pauvres utilisent pour se qualifier et pleurnicher sur leur sort, et cracher sur leurs voisins et ne jamais venir en aide à aucun pauvre d'aucun endroit du monde.
Le spectacle continue...

Mon Usine 2. 

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