J’aurais commis l’irréparable !
Quand il commençait à être plus bourré que tous les clients réunis, le barman déglinguait ses digues et vidait sa vie comme on vomit sur un trottoir.
« Tiens, pour le petit Victor, je le savais, j’habitais l’appart en dessous. Toutes les nuits, ça braillait. C’était encore le père qui criait le moins fort, au point que c’étaient le gamin et sa mère que je détestais le plus. On aurait dit des porcs qu’on égorgeait. Ça pouvait durer des heures. Ma femme est même montée une fois pour leur dire. Tu parles ! Ça a repris de plus belle ! Les nuits d’enfer. J’étais claqué au matin quand il fallait ouvrir le bar à 5 h. Je suis obligé, c’est l’heure où les sans-papiers se pointent pour boire un café. T’en as certains, ils picolent. Je sais pas trop bien si c’est pour démarrer la journée ou si c’est parce qu’ils terminent une soirée. Ça fait du chiffre jusqu’à 8 h, quand les derniers sont chopés par les dernières camionnettes. Je garde que les cassos et les bras cassés qui sont pas foutus de se faire embaucher ! T’en as la moitié qui boit un café toutes les deux heures et l’autre moitié complètement tapée à la dope… Enfin bon, je suis jamais monté parce que j’aurais commis l’irréparable ! »
L’assemblée de vieux poivrots était figée.
« Alors, quand c’est arrivé, j’ai trouvé ça horrible, bien sûr ! Le mec a tué sa femme et son fiston ! Y’a pas de mot pour traduire ce que j’ai ressenti. Mais franchement, les jours qui ont suivi, j’ai vite ressenti un apaisement, un soulagement, putain, les cris, c’était fini ! À moi les bonnes nuits de sommeil. Je sais, c’est pas bien de penser comme ça, mais c’est la vérité ! Merde, on peut plus rien dire aujourd’hui ! J'suis quand même allé à leurs obsèques hein... »
Tout le monde s’est tu. Puis l’un d’eux a demandé qui avait vu le match la veille, et la soirée a repris, relax, tranquille, bourrée, au son entraînant des Rolling Stones, des Pogues et de Bon Jovi.
C’est beaucoup plus simple maintenant. Tu tiens le coup avec ce traitement. Ils avaient raison, ce n’était pas pour nous empoisonner, c’était pour nous soulager, nous rendre la vie un peu plus supportable.











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