Long avis d'une lectrice sur mon roman Les Derniers Cow-boys français



Déjà 6 ans que mon roman Les Derniers Cow-boys français est sorti. Des centaines de lecteurs, des papiers ici et là, une version numérique éditée en septembre 2013 (qui a amené encore des centaines de nouveaux lecteurs), et toujours disponible dans toutes les librairies en ligne (papier et numérique) ou réelles (sur commande). Des lecteurs choqués, d'autres écœurés, d'autres subjugués, fascinés, etc. Mais voilà, mon éditeur, La Matière noire (qui publie la version numérique) a reçu l'avis le plus étayé d'une lectrice. ça ne gonfle pas mon ego, ça ne me transforme pas en fleur fée arrogante, ça me laisse juste dans mon coin, mais bien. 

Retour de lecture : Immersion vérolée de Louise Sullivan

Léonel Houssam n’est pas un auteur qu’on va chercher. C’est généralement lui qui vous trouve. Une fois qu’il vous tient dans sa paume et vous inspecte sous toutes vos coutures, vous pouvez sentir la sueur glacée de son regard dégouliner dans votre dos et l’humus jaunâtre de sa bile envahir votre bouche. C’est le premier stade. Après vous vous prenez ses mots en uppercut successifs à vous en déformer la boite crânienne. Faut apprivoiser la bête. Pas de vulgarisation des belles lettres, mais du vulgaire au sens premier du terme. Le vulgaire ça peut être beau, sublime et grotesque quand ça dépeint la merde pure, celle dans laquelle on baigne tous les jours, nos bains moussants aux olfactives putrides. De même que l’homme a toujours aimé se vautrer dans ses propres déjections, Houssam nous les offre reconstituées sur un plateau. L’ultime étape consistant à ne pas vomir sous la gavée mais à apprécier. J’ai plongé en quelques mois.
De formation littéraire, j’ai toujours aimé décortiquer, tirer les vers du nez de l’indicible des auteurs que je choisis. M’imprégner de leurs œuvres et en sortir mieux taillée. A lécher l’encre imprimée quand j’aime. A brûler tout sans concession si je n’aime pas. Toute cette réflexion n’étant donc que ma propre perception d’une oeuvre, entièrement sous la subjectivité, ne prenant en compte que mon ressenti. Mon coming-out de lectrice toute puissante, le moi-moi d’une opinion parce que oui, ça se justifie une place dans ma bibliothèque.
Une immersion totale. Au sens premier du terme: fait de se retrouver dans un milieu étranger sans contact direct avec son milieu d’origine. Plonger dans l’univers d’Andy Vérol/Léonel Houssam est déstabilisant. Le personnage est intimidant, il interroge, agace, fait fulminer, charme, attise, attire, attache. La nouveauté effraie. Quand on s’est brûlé les rétines à interroger le réalisme d’un Zola, d’un Flaubert, quand on a reformé en détail le pacte autobiographique de Saint Augustin à Rousseau ou quand on a plongé dans la subversion littéraire du surréalisme, on devient exigeant. Pas par pédantisme, pas par une pseudo croyance en sa légitimité de surlecteur, élite de la bouquinerie du dimanche, mais parce que les classiques, c’est pas classique parce que c’est vieux, ni parce que c’est estampillé Académie Française. C’est surtout parce que ce sont des œuvres de rupture, de fracture, de bouleversement avec un ordre pré-établi. Le réalisme et les nouvelles de Maupassant n’auraient sans doute pas eu cet impact sur la littérature sans une volonté manifeste d’en découdre avec la tendance romantique à dénaturer le vrai. De même que le surréalisme avec cette envie de vomir les codes naturalistes et d’atteindre le vrai par son propre truchement. J’aime Houssam, parce qu’il reforme une boucle éteinte depuis longtemps dans la littérature française, que les Houellebecq, les Nothomb, les Delorme et compagnie n’ont, à mon goût (puisqu’il s’agit essentiellement du mien je le répète), jamais été foutu de dépasser ce qui avait déjà été fait. De la rupture on vous dit ! C’est comme ça que ça doit être dans l’art lorsqu’on voit bien qu’il s’enlise, qu’il stagne dans l’eau croupie de la redite, faut une cassure, faut sortir de l’imitation, faut dépasser les maîtres. Alors oui quand on commence à s’immerger doucement dans l’univers vérolé d’Houssam, on perd pied face à l’inconnu, face à sa perte de repères, effectivement sans contact direct avec son milieu d’origine. Vous savez nager vite fait mais ça fout les jetons quand on lâche le bord, tout seul comme un grand, vers une eau trouble. Le milieu parait hostile, étranger, et pourtant…quel style.
Parler d’un auteur mort c’est ce qu’il y a de plus simple. Vous pouvez aller au grès de vos pérégrinations dans leurs oeuvres, soulever des thèses de psychologies de bazar, vous transporter durant des heures d’un effet que l’auteur n’aura pas même eu conscience d’avoir produit parce que parfois, et c’est ça la magie du style aussi, les mots se mettent en place tout seuls dans une adéquation parfaite singeant la figure de style. Le pratique de la rhétorique c’est qu’un auteur mort ne peut pas venir vous décocher une pichenette derrière l’oreille pour vous expliquer que vous n’y êtes pas, que vous n’avez rien compris…Houssam, si. Le piège dans lequel il ne faut pas tomber et dans lequel, bien évidemment, j’ai d’abord été tentée de sauter à pieds joints, c’est de torturer le texte, de le retourner en tous sens, afin d’y chercher l’auteur lui-même. Oui, il est fascinant de le chercher derrière ses mots, il a cette part de mystère et de charisme inexplicables qui intrigue le lecteur curieux, nourri depuis des lustres à examiner les gens insipides sous toutes leurs coutures derrière un écran.
Alors voilà, on cherche qui est Houssam. Ce fut mon problème quand j’abordai les retranscriptions des cahiers de Duno. Je voulais SAVOIR. Savoir si Duno existait réellement, s’il était vraiment le frère de l’auteur. Je voulais connaître la part de vérité derrière les lignes. Puis dans Les Derniers Cow-boys français…mais là…à nouveau la perte de repères. Piège classique que d’extrapoler l’amour d’un style à la curiosité malsaine envers l’auteur. Et risquer de passer complètement à côté de ce qu’on lit. Il est que le récit à la première personne induit le lecteur à prendre ce qu’il lit pour argent-comptant et à l’associer à ce personnage public dont nous connaissons certain élément. Mais est-ce le plus important? De même, décortiquer ici le style d’Houssam n’est-ce pas tenter de paraphraser les techniques littéraires de bases et d’en faire un bel essai tout joli tout propre de petit lettré bon marché ? Céline disait qu’il n’y avait rien de plus rare que le style, que des auteurs ça, pour en avoir en pagaille il y en avait, mais des auteurs avec du style…il n’en existait que deux ou trois par génération d’écrivain. D’une autre manière, Dali affirmait que c’était une bonne chose d’ailleurs, que le monde ne serait qu’un foutoir immense s’il pouvait compter 25000 Dali ou Picasso, et qu’au final, c’était pas plus mal, cette rareté du style. Léonel Houssam est de ceux-là.
Le sens second d’immersion est l’action de plonger entièrement quelque chose ou quelqu’un dans un liquide. C’est ce que j’ai ressenti en dévorant Les derniers cowboys français. Un liquide âpre et épais que j’ai bu avec la même frénésie que ce personnage ses herbes macérées, personnage dont on ne sait pas grand chose de manière linéaire mais dont on sait tout tant il résonne avec les questions métaphysiques et/ou réalistes universelles qu’il soulève. Léonel Houssam n’est pas son “JE”. Ici plus qu’ailleurs, JE est un autre, les autres. Un goût d’origine ardennaise sans doute. J’ai pu le rapprocher également du Triple autoportrait de Norman Rockwell où finalement, aucun des différents portraits ne coïncident ensembles et nous n’avons d’autre choix que de faire confiance au peintre car rien ne nous dit que l’autoportrait est vrai et pourtant, aucun des trois n’est mensonger. C’est l’art de la multiple énonciation des textes de Léonel Houssam dont le “je” est “humanité”. Il le dit lui-même, ses personnages sont réels, ils sont là, devant lui, devant nous, nous les côtoyons tous les jours, ils peuvent être nous. Et alors que le principe d’identification au héros ne semblait pas aisé, j’ai lu avec empressement, comme si j’avais peu de temps pour avaler les mots, avec une hâte et une soif immodérée.
Si l’on se prend pour un lexicographe, l’immersion est aussi le début d’occultation d’un astre. Le recouvrement apparent d’un astre par un autre. Subrepticement, la “non-road story bousillée par une incapacité à planter le décor” des Derniers cow-boys français superpose des pépites étoilées les unes sur les autres: le dégoût, la désillusion, la fascination, le lâcher-prise, l’attente, la réalité brutale et sans effets romanesques. Pour ma part, je n’y ai jamais vu de décor aussi bien planté. Le génie de Léonel Houssam c’est d’occulter l’astre du dégueulasse par l’astre du beau cru. C’est réussir à me faire trouver magnifique un gros lard de gourou, à voir de la poésie dans les morceaux de vomi sur un tapis, enfin à trouver un côté charmant et désuet à la musique angoissante du monde moderne. De la tendresse presque.
Bref. L’immersion, c’est enfin l’un des trois modes valides de l’ablution baptismale, avec l’affusion et l’aspersion. Il n’y a plus aucun doute, je suis disciple. La descente décadente du personnage des Derniers Cow-boys français m’a entraînée vers une nouvelle forme de littérature, un STYLE comme on en rencontre peu et qui s’est confirmé avec les autres ouvrages de l’auteur. Une immersion vérolée qui prouve qu’il est encore possible de cesser de dire ce que l’on sait mais de montrer ce que l’on voit.

Louise Sullivan.

Vous procurer le roman (directement chez les deux éditeurs):

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