DENIS ROBERT: Mohicans. Impressions de lectures 3
Je ne vais pas tourner autour du pot. Denis Robert est tout
sauf bête et méchant, et il est doté d’un humour très discret pour ne pas dire inexistant.
« Mohicans » est paru dans un contexte qui confirme que Denis Robert est
véritablement l’un des plus grands poissards des deux dernières décennies. Un
livre consacré à Charlie Hebdo, à ses créateurs, à ses repreneurs, à ceux qui
disparurent avant les attentats, qui disparurent le jour des attentats ou qui
continuèrent tels des fantômes après les attentats de ce fameux mois de janvier
2015, c’était un pari risqué d’autant que des myriades de bouquins virent le
jour sur ce thème. Poissard car Mohicans est sorti le 5 novembre 2015, soit un
peu plus d’une semaine avant les attentats du Bataclan (et ailleurs dans
Paris). Niveau promo, cela est juste un coup de sabre en pleine face. Mais je
ne me suis pas laissé envelopper par le trauma collectif et je me suis procuré
ce livre parce que j’ai une confiance aveugle pour le travail de Denis Robert. Et pourtant, j’ai
entamé la lecture jusqu'à la page 62. Le rappel (certes indispensable)
de la genèse de Charlie Hebdo et de Hara-Kiri m’a gavé au plus haut point sans doute parce
que tout le bordel que les terroristes avait mis dans la capitale française m’avait
donné envie de me consacrer à autre chose.
Les mois passant, j’ai eu envie d’en savoir plus. Je me
rappelais qu’en janvier 2015, Malka, « l’avocat de Charlie Hebdo »
était sur tous les plateaux. Je me disais alors : « Mais il n’y a pas
autre chose qu’un putain d’avocat pour parler des bonhommes de cette équipe ? »
J’ai lu tout le livre en quelques jours et il m’a éclairci, et m’a rappelé
certains points. Je n’avais pas crié « Je suis Charlie ». Je ne l’étais
pas vraiment. Touché par la mort étrange de tous ces bonhommes que je « connaissais »
depuis l’enfance pour certains, oui, très touché, désolé, attristé, mais enfin
non, je n’étais pas derrière le cortège de chefs d’état tous plus hypocrites et
répugnants les uns que les autres, derrière cette « France » qui
soutenait un journal qu’elle n’avait jamais lu, cette « France » qui
défendait la liberté d’expression dans les limites du raisonnable (et des
places disponibles ?)
J’avais aussi encore en tête l’exclusion de Siné par Val (l’ancien
patron de Charlie Hebdo devenu sarkozyste après avoir été socialiste libéral,
après avoir été libertaire machin-truc, etc.) pour « antisémitisme »
(ben voyons), l’attentat contre les locaux de Charlie Hebdo en 2011 après avoir
relayé les caricatures du Prophète d’un journal de la droite de la droite d’Europe
du Nord… J’avais le souvenir que je n’avais lu Charlie Hebdo (deuxième version
étant un marmot lorsque la première existait encore) que durant la première
année de sa (« re »)publication au début des années 90 considérant
tout ça comme has-been et finalement pas très drôle. Si ce journal n’avait pas été
attaqué par des terroristes, il aurait fait faillite, et je dirais : tant
mieux. Ce livre se dévore et même si Denis Robert règle ses comptes avec Val
(de façon légitime d’ailleurs au regard des saloperies écrites par le suppôt du
petit Nicolas), il démontre la cupidité, l’égocentrisme, la soif de pouvoir du
patron et de ses sbires (Malka, Cabu, …)
Un tel bouquin n’aurait aucun intérêt sans le massacre d’une
bonne partie de sa rédaction. Ça n’est pourtant pas un objet voyeuriste. L’enquête
est approfondie et les histoires de fric et de musellement de la parole par Val
sont riches d’enseignement. Et puis il y a Choron et Cavanna qui moururent dans
une sorte de mépris collectif. Il faudrait cependant tirer un enseignement de
ces vieux briscards qui tinrent tête à l’Etat dans les années 60 et 70, époque où
la jeunesse rêvait de révolution, de changements et d’un monde « meilleur » :
la liberté d’expression et la subversion ne sont plus à chercher dans un journal.
Léonel Houssam
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