« Tous aux abris ! » (anti-atomiques) - La sûreté nucléaire en France

 

Chooz
Centrale nucléaire de Chooz dans les Ardennes française


Une des questions soulevées ces derniers jours et qui a réveillé l’esprit un peu enfumé de nombreux français, c’est évidemment la question du nucléaire. Tandis que les citoyens poissons-rouges découvrent que des centrales qui explosent des atomes, ça peut être dangereux et se ruent dans les pharmacies pour se procurer des pilules d’iode totalement inexistantes, il faut bien reconnaître que mépriser leur attitude n’est pas véritablement acceptable. Car nos chers gouvernants, et ce depuis un demi-siècle, nous tabassent l’encéphale à coups de « le nucléaire est une énergie propre et sans danger ». Malgré quelques alertes et des manifestations (rappelons-nous les sites nucléaires français investis sans difficulté par des militants Greenpeace) du caractère hautement apocalyptique du nucléaire, rien ne bouge. Chacun vaque à son petit boulot, ses petites vacances et chacun fait semblant ou croit dur comme fer que nos centrales sont effectivement indestructibles…

C’est en 1988 que je devins convaincu que le nucléaire était une plaie pour notre pays. Cette année-là, je sortais avec une petite brune toute jolie. Nous étions jeunes, nous étions beaux, nous sentions bon le sable chaud lorsqu’un soir, alors que nous sirotions notre diabolo-menthe en nous aspirant le cou pour y dessiner d’affreux suçons, le cousin de cette fille (dont je ne me rappelle même pas le prénom) vint nous rejoindre au bar de la plage de ce village-vacances sur la presqu’île de Giens. Il s’agissait du cousin de cette amoureuse. Il avait 35 ans tout au plus mais pour nous, c’était un vieux. Un vieux cool mais un vieux quand même. Il s’installa avec nous, prenant bien soin d’interrompre notre séance de suçons et tout en sirotant un cocktail, et m’apprit qu’il était ingénieur dans la sureté nucléaire. Son job consistait à faire le tour des centrales françaises et de vérifier l’état des réacteurs. J’avoue que ça me fascinait. Mes questions fusaient tant il m’apprenait des choses que je n’avais entendu nulle part.

 

Quelques mois plus tôt, avec ma classe, nous étions allés visiter la centrale de Penly alors encore en construction sur les côtes normandes. Nous avions pu faire le tour du site, visiter la salle des machines, admirer le bâtiment réacteur et sa cuve, son pressuriseur,  son générateur de vapeur… Il y avait deux réacteurs. Ce qui était impressionnant, c’était que cette centrale était (et est toujours) à fleur de côte, à quelques mètres de la Manche et ses marées. Je me rappelle que j’avais des craintes lors du voyage pour nous rendre sur le site. Pour moi, le nucléaire, c’était encore plus dangereux que de jouer avec le feu. Eveillé à l’Histoire et la géographie (jusqu’au lycée ces matières ne m’intéressaient pas), j’avais en tête Hiroshima et Nagasaki mais surtout la catastrophe de Tchernobyl qui avait eu lieu deux années auparavant. C’est avec cet événement que les français se réveillèrent avec la gueule de bois, les cellules bombardées par des atomes fous se déplaçant dans un nuage qui, selon les autorités, s’était arrêté pile à la frontière française. L’angoisse était réelle. Et pour moi, comme quelques autres élèves, ça n’avait rien de rassurant d’aller sur un site nucléaire, fusse-t-il en construction. Pour la grosse majorité des autres élèves, cela n’était qu’une sortie scolaire cool qui évitait d’assister à des cours qui les emmerdaient au plus haut point. Autant dire que ces derniers étaient les futurs citoyens poissons-rouges dont je parlais plus haut.

 

Cette visite, avec du recul, n’était autre qu’un pur exercice gouvernemental de propagande afin de désamorcer les craintes qui assaillaient certains d'entre nous. Toutes proportions gardées, je dirais que nous étions un peu des petits coréens du nord à qui l’on ordonne de chanter la gloire du chef, du bonheur du peuple alors même que tout le monde crève la dalle. Nous avions aussi pour mission - sans que ce soit dit - de prêcher la bonne parole auprès de nombre de nos parents sceptiques sur le sujet. 

J’avoue que ça m’avait impressionné. Les explications du chef des travaux, des ingénieurs et je ne sais quels autres employés de la centrale en construction étaient claires, intéressantes. Nous comprenions grâce à des schémas et des animations projetés sur un grand écran, le fonctionnement de la machine. On nous distilla le message principal : « Le nucléaire français, c’est pas du nucléaire arriéré comme les centrales communistes, c’est du sûr, c’est du bon, on est les meilleurs, t’as vu comme je suis l’plus fort, etc. » Et le doute s’installa dans ma tête. Peut-être que tout cela était vrai. Après tout, les médias nous le disait, le gouvernement nous le disait et à présent, le personnel de la centrale de Penly le disait aussi. Comment pourrait-on imaginer une seconde qu’ils nous mentaient ? Qu’est-ce que seraient des personnes aussi responsables qui oseraient mentir et par la même mettre en danger sa propre population ?

 

Je restai donc en équilibre instable sur ce fil. J’étais un adolescent, je me cherchais, j’avais d’autres chattes à fouetter mais ça restait dans un coin de ma tête.

 

Ce soir-là, sur la plage du village-vacances de la presqu’île de Giens, le cousin de ma petite amie estivale me plongea soudain dans l’effroi après quelques explications générales sur son métier. Je l’interrogeai sur la sécurité nucléaire en France, en lui racontant la visite du site de Penly et en lui rapportant que l’on nous avait dit que ça n’avait aucun rapport avec les centrales trop nazes des communistes. Je m’en rappelle très bien. Il avança son visage un peu plus près de moi et me dit en baissant le ton (je pense qu’il voulait un peu se la jouer quand même) : « Tu sais combien il y a d’incidents dans nos centrales nucléaires chaque année ? » Incident n’est pas accident. Mais tout de même. Je lui répondis quelque chose comme « 5 ou 6 ? » au hasard. Après quelques secondes il finit par me balancer en me faisant promettre de ne jamais répéter que c’était lui qui me l’avait dit : « près de 2000. » Le choc pour moi à l’époque. Et c’était un ingénieur spécialisé dans la sûreté nucléaire qui me le disait avec toute la gravité qu’une telle information pouvait provoquer en moi. Bien sûr, je rétorquai qu’il ne s’agissait que d’incidents. Il me contra en affirmant qu’effectivement la plupart du temps, ça n’était pas grand-chose, seulement un pourcentage conséquent de ces incidents prévenaient du pire. Il m’assomma définitivement : « Tous les types qui bossent avec moi, y compris les plus hauts responsables, tablent pour un accident majeur d’ici cinquante ans maximum. » Ces mots sortirent de sa bouche il y a 34 ans.

 

Alors tant bien même cette prévision s’avèrerait erronée. Le simple fait d’émettre cette prévision de catastrophe par un professionnel dans le domaine aurait dû engendrer des politiques de sûreté autrement moins hallucinantes que celle que nous vivons en France. Je lisais hier un article du magazine Marianne qui complétait ce que je savais déjà, vivant avec une citoyenne suisse. En France, si demain nous étions touchés par une attaque nucléaire (suivez mon regard) ou que l’une de nos centrales partait en sucette, aucun citoyen ne pourrait se mettre à l’abri nulle part. Le savez-vous ? Il n’existe dans notre pays que 1000 abris antiatomiques pour 66 millions d’habitants. Ce qui signifie qu’une protection quasiment égale à 0% nous est promise… En Allemagne et en Norvège, c’est 40%. En Chine, en Russie (tiens donc) et en Suède, 70%. En Israël, c’est 100%. Et la championne toutes catégories, c’est la Suisse avec 104%. Dieu sait que moi tout comme beaucoup de potes français avons chambré ma compagne sur ce point. « Ah lalala les Suisse paranos et flippés ah ah ah ! »

On arrête de se marrer. Me concernant, je suis contre le nucléaire civil depuis 1988. 

En 2019, je découvrais (et j’en ai écrit un petit article à l’époque), qu’une eau de plus de 27 degrés n’avait plus d’efficacité pour refroidir un réacteur nucléaire. Il fallut en arrêter certains durant quelques jours car les chaleurs que nous subissions étaient trop importantes. A l’heure du dérèglement climatique, il est peut-être temps de s’interroger. Et je ne parle pas des déchets d’une durée de vie de plusieurs centaines et milliers d’années. Et enfin, je ne parle pas d’un changement soudain du climat politique international… Enfin si, parlons-en. Nos chers dirigeants nous tabassent la tête avec leur croyance (ou croyance simulée) dans la sécurité nucléaire. Le ferment d’une guerre en Europe aura pris 30 ans, entre l’indépendance de l’Ukraine jusqu’à la guerre qui la ravage aujourd’hui. Trois décennies. Pas plus. Est-on si arrogants que l’on peut penser sérieusement que notre régime politique ou celui de nos voisins et alliés resteront indéfiniment ce qu’il est aujourd’hui ?

Gouverner, c’est anticiper (ou prévoir selon les formules). Pour la pandémie dite "du coronavirus", malgré les avertissements des agences de renseignement ou/et de prospective de nombreux pays occidentaux, y compris la France, il y avait zéro masque en stock en mars 2020. Si le Covid-19 avait été un chouia plus mortel qu’il n’a été, qui serions-nous aujourd’hui ? Le masque n’aurait sans doute pas suffi, mais il aurait sauvé des vies. Mais nos chers gouvernants, pour des questions de coûts, ont laissé détruire des stocks de plusieurs dizaines de millions de masques. Ça n’est qu’un petit élément parmi tant d’autres. 

Pour revenir au nucléaire, si ce que m’a dit cet ingénieur en 1988 se réalise, où sont les pilules d’iode ? Nulle part. Où sont les abris-atomiques ? Nulle part. Où sont les exercices à grande échelle pour préparer la population à un accident majeur ? Nulle part. Il est certain que tout ça ne sauverait qu’une partie de la population. Mais n’est-ce pas l’un des piliers de la sûreté et de la sécurité que de prévoir ? Où sont les informations sur la dangerosité du nucléaire ? Nulle part ou presque. Des écolos, quelques citoyens vivant en zone exposée s’en préoccupent ainsi que quelques journalistes un tant soit peu sérieux. 

Je termine ce texte par un autre souvenir. Lorsque je vivais mon enfance dans les Ardennes, nous parlions déjà du danger du nucléaire, sans trop savoir ce qu’il en était vraiment. La centrale de Chooz est située dans ce département. Fin années 70, début années 80, ce sujet était abordé par mes parents, oncles et tantes durant les repas familiaux. Ils étaient jeunes et souvent très marqués par ces questions (un peu hippies sur les bords pour certains d’entre eux à l’époque), et cette centrale était considérée comme un danger. J’entendais des bribes, et comme tout enfant, je n’en faisais pas une analyse mais je stockais ces discussions dans mon esprit. C’était déjà une question soulevée par des citoyens sans que jamais les autorités n’aient entendu les craintes de ceux-ci. L’autisme et l’arrogance des dirigeants sont les caractéristiques de notre classe politique de droite comme de gauche. Cette classe politique et particulièrement les plus hauts gradés de celle-ci bénéficient de solutions en cas de catastrophe : plan d’évacuation, abris nucléaires, équipes médicales d’urgence, etc. Ils s’arrogent des dispositifs dont ils privent la quasi-totalité de la population… Au regard de l’état dans lequel ils ont mis notre système hospitalier, nous pouvons être sûrs qu’en cas de catastrophe nucléaire, nous serons certains de pouvoir crever la gueule ouverte. Ce système n’a même pas été capable d’absorber des vagues de quelques milliers de malades covidés, du moins a-t-il pu le faire à force de confinements (assignations à résidence) de toute la population. 

Dans le cas d’une catastrophe, y compris à l’étranger (en Ukraine par exemple hein…), nous n’avons strictement aucun dispositif de protection de la population. Aucun plan de secours. Aucune mesure d’alerte. En gros, nous aurions des appels radios, télés et réseaux sociaux qui nous diraient de nous enfermer dans une pièce sans fenêtre avec quelques boîtes de petits pois, 5 bonbonnes de flotte et des serpillères mouillées au bas des portes et des bandes de scotchs autour des fenêtres. De quoi faire fuir les atomes cinglés effectivement !

Je veux bien entendre ceux qui feront une fois de plus les malins avec leur : « Oh ben faut bien crever de quelque chose hein ? Et puis on nous cache tout, on nous dit, on nous informe vraiment sur rien… J’ai pas peur, je suis le plus fort, etc. » Ces postures, quand elles sont sous le coup de l’humour, j’adore mais quand c’est dit avec tout le sérieux du monde, je ne peux qu’être en colère. Parce que ces petits malins, et j’en mets ma main à couper, seront les premières ordures à piétiner les autres pour passer devant et pour sauver leur poire.

Bref. Tous aux abris ! Oui… mais où ? 


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