Ma petite chambre psychique d'enfant - Chroniques des Parallèles 17


Léonel Houssam

J'écrivais la vie d'un frère qui s'appelait Duno. C'était à la fin des années 2000. Je voyais en lui la foudre qui s'abattait sur des passants au hasard. Ses carnets noircis pendant toute sa vie d'adulte narraient sa vie hardcore de chanteur adulé des années 90. La force des mots, la violence des propos surpassaient ma propre colère créative. À côté des siens, mes écrits me paraissaient si fades, sans tenue, sans doute empreints de cette arrière-pensée malsaine selon laquelle je devais tout de même laisser la porte ouverte au grand public.

Cette stratégie s'avéra lamentable puisque les années passant, je perdis mes milliers de lecteurs et le goût d'écrire. Je pense même que j'ai fait le deuil de la liberté et de la défiance contre une société haïssable et destinée à disparaître dans les deux décennies à venir.
Les rencontres, les soirées mémorables, un certain confort et le temps se raccourcissant, j'ai flingué l'écrivain et j'ai fait naître un bon monsieur à l'existence enviable. Au fil des années, je suis devenu tout ce que j'avais détesté. Un énorme revirement qui laisserait de moi à la postérité un gigantesque trou béant d'oubli.
C'était parfait ainsi. Tout m'allait. J'avais bien rangé ma petite chambre psychique d'enfant et toute la vaisselle de la vie était proprement remisée dans les placards de la cuisine mentale.
Avec une fierté non dissimulée, j'avais vaincu mes démons. Le gentil bigorneau que j'étais me semblait docilement imprégné d'une paix douce et réconfortante.
Jusqu'à ce que tout bascule. Rien de bien spectaculaire au départ. Pas de rencontre insolite ou étrange, pas d'accident majeur, pas de choc psychologique puissant. Juste une sorte de chansonnette assez sombre. Pas quelque chose avec des paroles claires ni même une mélodie identifiable. Mais une chansonnette dark. La sensation d'une chansonnette qui se baladait dans mon esprit, au-delà de l'horizon de ma conscience. Une chansonnette qui s'emplifiait mesurement et accompagnant les signes certains d'un effondrement du monde.
Ça ne me perturbait pas plus que ça, tout du moins pas au début. J'aimais l'entendre. Dans mes rêves, dans mes pensées... Je me laissais happer par elle à certains moments. Elle était une musique vague aux paroles inaudibles. Sans que j'y fasse attention, elle joua un rôle prépondérant pour libérer un démon. Un seul. Pas la bande toute entière. Juste un seul. Le plus posé, le plus agréable mais surtout le plus cruel et terrifiant...
Aujourd'hui j'ai l'apparence d'un homme mûr, très occupé, de plus en plus sage. En réalité, je l'avoue, ce n'est plus qu'une façade, un vestige d'un temps encore assez récent. Derrière tout ça, celui qui n'a pas de nom, dont je suis le seul à voir le visage, a débarqué des tréfonds de mon âme et s'est matérialisé dans une enveloppe charnelle avenante.
À ce jour, il ne m'a pas encore demandé d'agir. Mais ça ne va pas tarder, car il m'a glissé dans l'oreille un soir de canicule : "Tu es parfait à présent pour réaliser le pire. Tu es prêt. Profite de tes quelques semaines de tranquillité parce qu'ensuite tu ne connaîtras plus le répit."


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